Et puis Paulette…

Paulette fait la grève.

Elle ne mange plus.

Elle ne fait plus sa gymnastique pour avoir de belles cuisses.

Paulette sait ce qui est arrivé à ses copines, Josette et Henriette.

On les a accusées de coups de becs et on les a mises en boîte.

Josette et Henriette ont été exportées pour être laquées, hors Schengen.

Paulette ne veut pas finir sa vie sur un lit de riz.

Elle veut régaler des papilles en France, après un bon bain dans sa graisse avec des pommes de terre et un bouquet garni.

O.T.

 

 

 

J’mappelle Paulette, on m’a donné ce prénom parce qu’à la naissance j’étais grasse comme une oie, 4 kg 950… avec des yeux bleus et un fin duvet comme un oison tombé du nid. Ça tombait bien à la ferme on en avait des oies alors ils ont choisi la plus belle et ils m’ont donné son prénom… Paulette.

 

Cette histoire elle commence il y a  90 ans, à Poil  (oui, oui c’était le nom de notre village). Mon père, Eude, avait une cordonnerie et ma mère, Jacqueline, s’occupait de la ferme. Ici c’était la belle vie, ça sentait le foin frais, la bouse de vache et la gnôle à l’heure de l’apéro. Puis il y a eu la guerre papa est parti et maman est morte d’une overdose (de chocolat), comme Stupide notre chien (oui c’était son nom). Un jour de Pâques, j’avais 8 ans, il a trouvé tous les œufs… avant moi. J’étais franchement déçue… D’ailleurs on n’a plus jamais fêté Pâques ! j’ai vendu la ferme pour 3 francs 6 sous et j’ai pris mon baluchon du haut de mes 15 ans. Honnêtement j’avais pas grand chose à mettre dedans alors j’ai pris un livre  » De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête », une photo, histoire d’avoir un souvenir et mon chat, Gaston. J’ai marché droit d’vant moi pendant des jours, comme un poisson clown dans l’océan et je suis tombée face à ce panneau « en France » côté gauche ou « Cruzols » côté droit. J’ai regardé à gauche, il y avait des champs à  perte de vue, pas un arbre, il faisait une chaleur à en ouvrir une huître … Cette expression c’est moi qui l’ai inventée parce que faut bien l’dire une huître c’est sacrément bon mais ça s’ouvre qu’avec la chaleur ! puis en tournant la tête à droite je l’ai vue, lui… Robert. Il n’était pas vraiment beau, plutôt gros avec des poils qui dépassaient de sa chemise. Il transpirait comme un bœuf, d’ailleurs c’était ça son métier, tirer les bœufs dans les champs. Il m’a tendu la pelle, j’ai tendu la main. On n’a rien eu besoin de se dire on s’est compris, j’ai commencé à travailler pour lui dans sa ferme. D’ailleurs elle était magnifique sa ferme, on l’appelait  » la casa blanca ». Robert il avait 25 ans, lui aussi ses parents étaient partis, il était seul avec son bétail, ses champs, et la photo de mémé Henriette au dessus de son lit. À Cruzols on était bien, ici les Allemands ne venaient pas nous embêter, c’était un peu un havre de paix au milieu de tout ce ramdam. La nuit il faisait passeur pour pouvoir faire vivre tout son petit monde. Il payait pas de mine comme ça, mais mon Robert c’était un héros !

Clothilde G.

 

 

 

– Paulette ?

– Oui, c’est moi !

– Incroyable c’que t’as changé… ton duvet tout gris.. ton bec qui s’relâche… ta poitrine qui s’avachit… Que s’est-il passé ? Toi si… sexy ?

– Le confinement Nancy, le confinement.

– Oui je veux bien, on l’a tous vécu, mais ton ventre qui pendouille, ton teint cireux ?

– Les apéros-Skype ma Nancy…

– Et tu marches pattes nues ? Où sont tes sandales palmées de chez Lebouquetin ?

– La faillite Nancy ! Tu n’en n’as pas entendu parler ? La cordonnerie de Robert n’a pas résisté.

– Ah bon ? Et il est où Robert ?

– Il est parti avec une oie blanche.

– Où ça ?

– Quelque part, en France…

– Oh mais c’est affreux ! Et toi ma Paulette ? Tu le vis comment tout ça ?

– Tu me connais, Nancy, je sais rebondir. Après chaque malheur tu m’as vue me redresser, je suis une résiliente. Eh bien, tu ne me croiras peut-être pas, mais je trouve du bon dans cette crise ! Depuis quelques semaines, je respire, je me sens soulagée. Je crois que je me suis enfin retrouvée : plus d’artifice, plus de temps perdu à faire du shopping, à teindre mes plumes et mes poils, à laquer mes griffes, c’est d’un reposant !!! Je suis moi-même Nancy ! Maintenant le matin quand je me regarde dans la glace je… je…. je…

– Tiens ma Paulette, une boite de mouchoirs et le numéro de mon psy.

Bénédicte L.